Substitut-t’on ?

Subu

Conclusion des Premières Rencontres de l’U.S.I.D.,  « Toxicomanies : Actualités et Traitements », DOUAI, Juin 1996.

Vous êtes venus nombreux à ces premières rencontres, vous êtes venus avec vos questions, vous êtes venus chercher des réponses, … et puis, vous allez peut-être repartir avec d’autres questions : eh bien, c’est ça la substitution !

La substitution, c’est l’action de substituer, c’est à dire de mettre une chose ou une personne en lieu et place d’une autre.

Alors, la question, ma question aujourd’hui, est de savoir ce que l’on fait, avec ces traitements dits de substitution : non pas seulement pourquoi substituer, pourquoi prescrire, mais qu’est-ce que c’est, qu’elle est cette chose ou cette personne qui est mise en lieu et place d’une autre ?

C’est qu’en quelque sorte, la substitution, ça s’est imposé à nous, ça s’est imposé dans le champ du soin en toxicomanie, c’est en tout cas tout à fait comme cela que nous l’avons vécu, ici à l’U.S.I.D., ça s’est imposé comme un retour du refoulé, de quelque chose dont nous ne voulions même pas entendre parler.

Parce que le pourquoi, pourquoi prescrire un traitement de substitution à un toxicomane qui en fait la demande, je pense que nous en avons déjà bien parler aujourd’hui : l’arrêt de la galère et de son cortège de comportements délinquants, la prise en charge des conséquences médicales et sociales de l’intoxication, l’espoir d’un renouvellement des liens sociaux et de la vie relationnelle, et puis et surtout, l’amorce d’une relation thérapeutique enfin dégagée de tout marchandage quant au produit: toutes ces bonnes raisons ont été abordées aujourd’hui.

Même si ce « raisonnable » doit encore être travaillé, même si cet « outil » thérapeutique doit encore être façonné, même et surtout si ce raisonnable demeure dans une dynamique d’interpellation entre ses différents acteurs.

Et c’est là que réside l’un des enjeux des traitements de substitution, dans ces liens entre le médecin prescripteur, le toxicomane, le pharmacien, et le centre de soins qui assure le suivi psychothérapique et social, suivi qui reste malgré tout le seul véritable traitement des toxicomanies : ne l’oublions pas !

D’une certaine façon, c’est là une première substitution : le passage d’une relation duelle, narcissique, entre le toxicomane et son produit, ou entre le toxicomane et un prescripteur potentiel, ce qui revient au même, le passage donc d’une relation en miroir, à une triangulation entre le corps médical, le centre spécialisé, et le patient.

Alors, une triangulation, ce n’est pas sans évoquer la triangulation oedipienne, donc peut être quelque chose comme un dispositif qui permettrait que soit remis en jeu, là, quelque fondement de la personnalité du patient, ou pour le moins, de son rapport à l’objet.

Vous remarquerez que je parle maintenant de patient, et non plus de toxicomane : sorti du face à face, du corps à corps avec le produit, le toxicomane s’inscrit alors dans une logique de soins, pour laquelle d’ailleurs, il lui est demandé beaucoup de patiente : patiente vis à vis de l’insomnie, vis à vis de la vacuité du quotidien, vis à vis de ce qui continue néanmoins à le faire souffrir, je veux parler de la vie psychique avec ces aléas anxieux, déprimants, décevants, inhibants, que nous connaissons tous ; mais dont il faut que le toxicomane, il réapprenne à vivre avec.

Parce que quand même, reposons-nous encore une fois cette question : pourquoi un certain nombre de personnes, pourquoi toute une partie de la jeunesse, font comme ça le choix de la toxicomanie ?

Parce que, avec ces histoires de substitution, on se rend bien compte que ce n’est pas le produit pour lui-même qui est recherché, que ce soit celui-là ou un autre, qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse !

 

On peut dire qu’il n’y a pas, sauf exception, chez des toxicomanes qui seraient des pervers avérés, par exemple, il n’y a pas de fétichisation du produit : ce n’est pas le toxique qui est recherché, ce n’est pas une molécule bien déterminée, mais c’est l’intoxication, les effets du toxique, et plus précisément, ses effets sur la vie psychique, sur le psychisme et donc sur l’appréhension de la réalité, sur le vécu du quotidien.

Ses effets sur le psychique sont de deux ordres : l’ivresse et la modification de l’état de conscience.

-L’ivresse, ça nous est un peu familier, c’est la levée de l’inhibition et la potentialisation de l’humeur.

-L’état de conscience, « l’être au monde » comme disent les philosophes, c’est ce qui se vit au quotidien, avec l’Autre, c’est cette réalité subjective par laquelle nous appréhendons le monde qui nous entoure.

Alors cette modification de l’état de conscience, cette distorsion de la réalité qu’induit la drogue, qu’elle est-elle ? Je pense pouvoir en singulariser deux aspects :

-D’une part un sentiment d’invulnérabilité, d’imperméabilité vis à vis de l’Autre, du grand Autre, vis à vis du monde extérieur. C’est un peu l’image de la bulle : intoxiqué, je suis en quelque sorte exilé, réfugié sur ma planète, loin des préoccupations terrestres.

-D’autre part, une impression de maîtrise de la vie psychique, quelque chose comme une jouissance de la pensée. C’est Charles Melman qui parle de ce sentiment qu’aurait le toxicomane, quand il est défoncé, ce sentiment que ce qui parle en lui, il pourrait non seulement le produire à volonté, mais aussi le contrôler.

Cette modification de l’état de conscience, ce serait donc ce qui permettrait à la fois d’ériger un écran devant le monde extérieur, et de maîtriser ce qu’il en serait de la vie psychique. Eh bien, c’est précisément cette distorsion de la réalité qui serait recherché par le toxicomane, et non un produit spécifique, bien différencié.

Nous nous situons là dans le registre du besoin, comme pour le sommeil par exemple, qui est aussi une modification de l’état de conscience.

Vous savez peut-être que Jacques Lacan distingue le besoin du désir. En deux mots, le besoin se caractérise par son aspect inconditionnel, non négociable, comme la faim ou le sommeil. Le besoin ne s’assouvit qu’en présence de l’objet, l’objet de satisfaction du besoin, dans un registre archaïque, qui participe essentiellement du biologique.

C’est là tout à fait ce que la clinique des toxicomanies, qui sont toujours des polytoxicomanies, nous apprend tous les jours.

Il en va tout autrement du désir, qui se spécifie, lui, d’être totalement conditionné par la recherche d’un objet bien particulier, dialectisable, pris dans la trame du langage ; et vous savez que Lacan l’a nommé du terme générique d’objet petit (a).

Cet objet du désir, à la différence du besoin, se dialectise en présence d’un Autre, mais aussi, cet obscur objet du désir manque toujours à le satisfaire pleinement, ce désir : c’est ainsi que s’introduit le registre du symbolique, de la symbolisation.

Quoi qu’il en soit, il apparaît donc si je poursuis ma pensée, là, il apparaît que le toxicomane dépendant, est dépendant d’une certaine distorsion de l’état de conscience, et ce, dans un registre qui est de l’ordre du besoin, de l’inconditionnel.

Alors, je serai enclin à penser que la demande de substitution, qui, comme toute demande est avant tout demande d’amour, la demande de substitution devrait pouvoir être l’occasion d’un passage du besoin au désir : c’est ce qui serait la véritable substitution, c’est à dire ce qui pourrait faire d’un toxicomane un sujet au désir, et à ses inconvénients.

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