Intervention aux XVIIèmes Journées de REIMS pour une clinique du toxicomane, « Traitements de substitution et Politique de substitution : vers une clinique du social », 27/28 Novembre 1998, REIMS
A l’approche de l’an 1000, l’Europe est parcourue par de terrifiantes bandes de malheureux assoiffés de martyrs ou de massacres.
Les suicides collectifs et les exodes de masse se multiplient, c’est le « retournement du monde ».
Inquiète, l’Eglise Catholique au pouvoir tente de canaliser ces mouvements de foule en lançant les croisades au cri de « Dieu le veut ! ».
Durant toute la première moitié de notre millénaire, la population est en proie aux invasions de barbares, aux épidémies de peste et aux famines. L’emprise religieuse maintient le statut quo féodal.
Dans le même temps se développent des pratiques de sorcellerie, qui viennent ainsi répondre au marasme de masse.
La confection de philtres psychotropes, l’organisation de lubriques sabbats et les jeteurs de sorts dévoilent la faillite de l’implacable discours du Maître religieux.
L’exaltation du Diable, la sexualité débridée et les rituels d’ingestion de substances stupéfiantes viennent contester une morale rigoureuse et une ascèse dont les puissants s’abstiennent.
C’est en parfaite concordance avec le discours dominant que la sorcellerie dénonce les manquements, les limites, l’impuissance du maître féodal à combattre la misère et la peur que connaît la population.
La sorcellerie apparaît comme révolte larvée, inconsciente, comme réponse dans le social de la structure hystérique au discours du maître.
Les maîtres ont changé, les sorciers appartiennent désormais au patrimoine folklorique européen.
Mais la globalisation économique et la désacralisation de la fonction paternelle livrent à la précarité et à l’instabilité un nombre toujours croissant d’individus sans attaches et sans repères.
Le maître antique, féodal, intégriste a laissé place à la science, à un discours techno-scientifique qui promet une maîtrise de l’univers et de ses habitants.
Les manipulations génétiques, la sexualité médicalement assistée, la panacée nucléaire promeuvent le bonheur sur ordonnance et le nirvana consumériste.
A l’aube du 3ème millénaire se développent des conduites toxicomaniaques qui apparaissent comme le retour, dans le corps et dans le social, des signifiants maîtres du nouvel ordre moral scientiste.
Promotion d’une référence pharmaco-chimique et emprise d’une micro-économie fondée sur le manque viennent ainsi contester le savoir scientifique là où il défaille.
C’est là la fonction de la structure hystérique, structure en tant que structure de langage, en tant que lien social.
Charles MELMAN l’indique dans les « Nouvelles Etudes sur l’Hystérie »: la symptomatologie hystérique est liée à la résurgence du signifiant maître dans le discours social qui suggère l’idée d’un viol, nous pourrions dire d’une effraction, d’une intoxication, et le corps mime la possession par un désir totalisant dont les signifiants s’inscrivent sur lui comme sur une page.
Le nouveau maître physico-chimique induit une économie générale de l’hystérie pour laquelle Charles MELMAN décrit deux formes cliniques que nous pouvons associer à deux modalités d’intoxication :
– l’une des formes de l’hystérie contemporaine est une forme dépressive, où le sujet se vit comme étranger au monde et refuse toute assertion comme tout engagement. Nous pouvons y reconnaître la fonction de retrait, de décalage, de repli narcissique.
– l’autre est une forme sthénique, où le sujet fait de son sacrifice le signe d’une élection. Ce projet se trouve ici facilité par la mise à disposition de nouveaux produits à fonction d’émergence, de déshinibition, de stimulation
En 1968, dans le séminaire « L’Envers », Jacques LACAN ne disait pas autre chose quand il spécifiait que le savoir de l’hystérique est un savoir sur la jouissance de l’Autre, au prix de s’identifier au petit (a), au plus de jouir.