Du père aux pairs

Pompier

Intervention à la Journée de l’Ecole Psychanalytique du Nord, du Pas-de-Calais et de la Somme, « Œdipe 2000 et au-delà… », 16 Octobre 1999, DUNKERQUE

Pour parler de la fonction paternelle, je vais me référer à une pratique que j’ai auprès de personnes toxicomanes à DOUAI, et à un travail qui se poursuit depuis 2 ans dans un groupe de l’Ecole.

Depuis quelque temps, dans les centres de soins aux toxicomanes, nous sommes confrontés à de nouveaux produits (l’Ecstasy et ses dérivés, bien sûr, mais aussi la Kétamine, le Crack, l’ICE qui est une amphétamine injectable, etc.), ainsi qu’à de nouveaux usages, comme l’intoxication à haute dose au Cannabis, la pharmacodépendance aux benzodiazépines, et surtout à ce que l’on appelle les polytoxicomanies.

Comme son nom l’indique, la polytoxicomanie consiste en un usage abusif de plusieurs produits psychotropes, pris simultanément ou successivement. Ce sont par exemple des jeunes d’une cité qui consomme sans modération toute substance psychoactive qui passe à leur portée : le pack de Kro, les médocs de la grand-mère, la barrette de Cannabis, le tout associé à de l’Ecstasy ou de l’Héroïne.

C’est également le cas de ces jeunes gens qui fréquentent les raves et qui gobent de l’Ecstasy, qu’ils associent à la Cocaïne et l’alcool. Dans un deuxième temps, celui de l’After comme ils disent, le Cannabis et surtout l’Héroïne leur permettent d’atterrir en douceur.

Ces comportements toxiques sont innovants à plus d’un titre. D’abord, ce sont des conduites de groupes, des sortes de rituels tribaux que l’on pratique entre semblables.

Ensuite, s’il existe une certaine culture musicale commune, le Rap pour les uns, la Techno pour les autres, ces intoxications ne prennent pas d’autre sens que celui d’assurer une performance nocturne ou tout simplement de se défoncer la tête.

Enfin, dernier point et non des moindres, ce sont des phénomènes de masse qui se répandent de façon épidémique chez les jeunes, et qui constituent des portes d’entrée idéales pour des pharmacodépendances majeures.

Si je vous parle de tout cela, c’est que cette nouvelle clinique diffère des toxicomanies traditionnelles auxquelles nous avions affaire, et qui restaient référées à la fonction paternelle, même s’il s’agissait de s’y dérober. L’héroïnomanie des années 80 concernait un sujet solitaire, gérant tant bien que mal sa dépendance, et s’inscrivant dans une démarche de révolte ou de fuite par rapport à l’instance phallique.

Les polytoxicomanies sont, elles, l’indice de l’émergence d’une nouvelle génération qui ne se trouve plus référée de la même façon à la fonction paternelle, et qui développe des pratiques que je qualifierais de métonymiques, qui ne se supportent d’aucun signifiant.

Je ne ferais ici que reprendre le constat du déclin de la fonction paternelle au sein de familles monoparentales ou reconstituées, ou encore chez ces pères qui rivalisent dans le maternage ou qui se trouvent démissionnés par leur échec dans le social.

Ce constat amène des auteurs comme Aldo NAOURI[1] à parler de « société post-incestueuse » ou comme Charles MELMAN[2] à constater « un retour du matriarcat ».

Je rencontre donc ces jeunes gens qui vivent entre pairs et qui me racontent tout simplement qu’ils ont fait « comme les copains ». Ce n’est bien sûr pas un phénomène nouveau, mais il se présente aujourd’hui avec une acuité particulière de par son ampleur et ses incidences toxiques.

A défaut de référent paternel au sein de ce qui lui tient lieu de famille, l’adolescent se tourne vers ses pairs afin d’échapper à l’emprise maternelle. Mais, si l’on convient avec Françoise HERITIER[3], que l’inceste consiste à « faire du soi avec du même », ce sont encore des liens incestueux qui se perpétuent entre semblables.

C’est pourquoi, cette fonction paternelle qui défaille dans l’espace familial, est appelée à se manifester dans le social. Alors, à défaut de Pater Familias, il y a une prolifération de petits pères dans le social, que l’adolescent ne manque pas d’interpeller en compagnie de ses pairs. Je pense au chauffeur de bus, à l’enseignant, au concierge et autre sapeur-pompier.

[1] « Père y es-tu? », in « Le Blocs-notes de la Psychanalyse », N° 13, 1995, Georg, Paris.

[2] « Le matriarcat », in « La Célibataire », N°2, 1999, E.D.K., Paris.

[3] « Les Deux Sœurs et leur Mère, Anthropologie de l’inceste », 1994, Odile Jacob, Paris.

 

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s