Dé(S)entification

C’est donc à propos de la psychologie collective, c’est à dire des rapports à l’autre que pour la première fois le Moi en tant que fonction autonome est amené dans l’œuvre de Freud.

Lacan, 10 février 1954 (Les écrits techniques)

Dans l’article sur « Le Moi et le Ça »,… Freud écrit que le moi est fait de la succession de ses identifications avec les objets aimés qui lui ont permis de prendre sa forme. Le Moi, c’est un objet fait comme un oignon, on pourrait le peler, et on trouverait les identifications successives qui l’ont constitué.

Lacan, 5 mai 1954 (Les écrits techniques)

Freud nous a introduit à un narcissisme conçu comme tout premier mode de relation entre le Moi et l’Objet, en ce sens que tous deux se constituent et se différencient en un même mouvement, en miroir en quelque sorte, sous le régime pulsionnel de l’autoérotisme. C’est d’une identification primordiale que s’origine le Moi, en tant qu’il se différencie progressivement de l’Objet extérieur en se l’appropriant, sur le mode du cannibalisme.

L’identification narcissique se révèle donc être à l’origine même de la constitution du Moi, et de l’Objet, ce que reprendra Lacan dans sa thèse de médecine sur les fondements paranoïaques de la personnalité.

Dans l’indifférenciation psychique des premiers temps de l’infans, le stade oral émerge sur fond de toute puissance psychique, mais aussi d’immaturité primordiale. Cette bivalence, propre aux processus primaires, élabore un premier orifice érogène, la bouche, qui s’active de la satisfaction autant réelle (sucer, boire) qu’hallucinatoire (sucoter, rêver) des besoins du nourisson. C’est ainsi que le Moi s’ébauche par incorporation de l’objet. Il ne s’agit pas pour autant, et pas encore, d’un véritable processus d’individuation, mais de la naissance même de l’appareil psychique, sous les auspices de l’identification cannibalique, narcissique, et en totale interraction avec l’environnement.

L’identification n’est donc pas un simple avatar de la vie psychique, elle en est son fondement même. C’est aussi ce que Lacan nous propose avec le stade du miroir. L’identification est originaire, antérieure au processus du refoulement : l’identification conserve l’ambivalence de la phase cannibalique, l’hainamoration dira Lacan, et imprime définitivement le fonctionnement psychique,…et nos relations à nos semblables.

Il s’agit ici de l’identification primordiale, bien sûr, et elle ne restera pas sans suite. C’est cette dés-identification, dans le sens d’une pluralité d’identifications, à laquelle Freud nous invite avec cet article « Psychologie des foules et analyse du moi ».

Massenpsychologie und Ich-Analyse date de 1921, il fait partie de 3 textes courts, écrits par Freud au lendemain de la première guerre mondiale, regroupés dans les Essais de psychanalyse pour la traduction française. Ce livre est d’une importance majeure, puisque Freud nous y propose la seconde topique, rien moins qu’un changement de paradigme, puisqu’il ne sera dès lors plus question de déchiffrer stricto sensu l’inconscient du conscient, mais de référer la vie psychique à différentes instances plus ou moins inconscientes qui président à sa destinée.

Alors qu’il a craint toute la guerre pour ses fils envoyés au front, Freud est touché de plein front par l’ombre de Thanatos. En juillet 1919, Victor TAUSK qui fait partie des intimes, se suicide par pendaison tout en se tirant un coup de révolver. Profondément déprimé au retour de la guerre, TAUSK avait demandé en vain une analyse auprès de Freud, qui l’avait adressé à Hélène DEUTSCH, elle-même allongée sur le divan freudien. Peu après, en janvier 1920, sa fille chérie, Sophie, décède de la grippe espagnole alors qu’elle est enceinte de son troisième enfant.

Fritz WITTELS, le premier biographe de Freud, rapporte ainsi les événements : en 1920, Freud nous surprit par sa découverte qu’en toute chose est à l’œuvre, outre le principe de plaisir que depuis longtemps on nomme Eros, un autre principe : tout ce qui vit a le vouloir de mourir. Soit en toute chose, non seulement une pulsion de vie, mais aussi une pulsion de mort. Lorsque Freud communique cette découverte, il est sous le coup d’une profonde émotion : il a perdu une fille chérie, en pleine épanouissement, après avoir longtemps tremblé pour ses proches qui se battaient au front.

En fait, L’au delà du principe du plaisir, le premier des 3 Essais de psychanalyse, a été écrit durant l’année 1919, avant la mort de Sophie. Néanmoins, ce texte inaugure la pulsion de mort dans le corpus psychanalytique, en tant qu’étroitement intriquée à la pulsion de vie, comme Freud le constate sous la forme de la compulsion de répétition à l’œuvre dans les névroses traumatiques, qui pullulaient alors.

Mais c’est l’observation du fils aîné de sa fille Sophie, alors âgé de 18 mois, qui lui permet de passer de la pathologie à la psychogenèse. C’est le jeu du Fort-Da, ce jeu qui répéte de façon métaphorique, la disparition puis la ré-apparition de l’objet maternel (P.52).

L’enfant s’identifie de façon métaphorique, et successive, à la mère disparue (au traumatisme), puis ré-apparue (à la satisfaction). Ainsi, la pulsion de mort, intriquée à la pulsion de vie, apparaît comme indispensable au processus de symbolisation, mais aussi, au travers de ses différentes identifications, le Moi se révèle morcelé, en proie au conflit fondamental entre Eros et Thanatos.

Avec Psychologie collective et analyse du moi, Freud fait un pas de plus, de la psychogènèse à la socialité. Ce texte poursuit le travail de Totem et tabou, et constitue avec Malaise dans la civilisation une trilogie qui marquera définitivement les sciences dites sociales. C’est que Freud établit une sorte d’isomorphisme entre vie psychique et vie sociale, ce que Lacan illustrera sous la forme de la bande de MOEBIUS : l’inconscient, c’est le social dira Lacan.

Pour Freud, à l’encontre de ses contemporains, la pulsion grégaire n’existe pas. La socialité s’origine de la famille, organisation sociale de base, autrement dit, du destin du complexe d’Œdipe : la psychologie individuelle est, dès le départ, en même temps psychologie sociale soutient-il d’emblée. C’est aussi une réponse à ADLER, l’objet de la psychanalyse n’est pas un individu qui serait indivisible, mais l’ensemble des liens qui lient cet individus aus autres. Pour cela, il fait l’hypothèse d’un lien libidinal social qui serait inhibé quant à son but sexuel.

Il en est ainsi de la foule, qui ne tient sa consistance qu’à l’intensité des liens libidinaux qui relient les individus entre eux, à l’image des liens amoureux. Il en est ainsi des ces 2 foules artificielles que sont l’église et l’armée : dans ces 2 foules artificielles, chaque individu isolé est liè libidalement d’une part au meneur, d’autre part aux autres individus dans la foule.

La socialité consiste ainsi en liens libidinaux qui ne sont rien d’autres que des identifications : une telle foule est une somme d’individus, qui ont mis un seul et même objet à la place de leur Idéal du Moi, et se sont par conséquence, dans leur Moi, identifié les uns par rapports aux autres. L’identification secondaire est plurielle et ambivalente, multiple et partielle, signifiante ou imaginaire  ; mais ces identifications secondaires restent corrélées à l’identification primordiale, celle que Freud nomme cannibalique, orale ou totèmique. C’est ici que les choses se compliquent. Pour rester au plus près du texte freudien, et dans la ^perspective de l’apport freudien, l’identification peut se concevoir selon 3 modalités :

  • L’identification est la forme la plus originaire du lien affectif à l’objet  :c’est l’identification primordiale, celle de la préhistoire du complexe d’Œdipe. Autrement dite, cette identification narcissique, cannibalique, préside à la génése même de la vie psychique. Cette autonomie psychique s’origine du narcissisme primaire. C’est une identification globale, d’un sujet en devenir qui assimile l’objet virtuel et elle est intraséquement ambivalente. C’est l’identification primaire, au père de la horde primitive, le Nom du Père ; qui règle le désir de la mère dira Lacan.
  • L’identification par voie régressive, qui vient substituer un lien libidinal. C’est l’identification névrotique, hystèrique par execellence : elle est la conséquence d’un lien libidinal qui n’a pas pu se maintenir à cause du refoulement. C’est une identification partielle, qui ne concerne qu’un seul trait de l’objet, investi libidalement. et qui, inccorporé, fait retour fait retour dans le refoulé symptomatique.
  • Chaque fois qu’est perçue une certaine communauté avec une personne, qui n’est pas l’objet de pulsions sexuelles. Freud précise : plus cette communauté est significative, plus cette identification partielle doit pouvoir réussir. Cette troisième sorte d’identification, partielle, ne s’adresse plus à un trait de l’objet, dans le sens du visible, par exemple ; mais elle concerne un signifiant, un signifiant refoulé qui fait retour par l’autre. C’est ce que Freud appelle l’identification de pensionnat, ou encore l’identification par sympathie.

 

 

 

 

           

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