Clinique 2.0 (II) : Bisexualité

Hermaphrodite

Nous allons partir de la bisexualité psychique, dont la notion n’a jamais été démenti, ni par Freud, ni par Lacan.

La bisexualité s’origine de la nuit des temps. De tout temps, des êtres humains naissent dotés des organes mâles et féminins. Certains estiment que 4% de l’humanité naissent avec des organes masculins et féminins. Le terme d’hermaphrodisme appliqué aux humains a commencé à être employé par la médecine vers la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. À la naissance, on pratique en général l’ablation de l’attribut le moins développé, opération doublée d’une hormonothérapie.

L’hermaphrodisme vrai désigne un cas rare d’intersexuation : la personne est dotée de chromosomes sexuels variables (XX, XY), mais naît le plus souvent avec une ambiguïté sexuelle et la présence simultanée de tissus testiculaires et ovariens, conduisant au développement de structures masculines (véritable pénis érectile et prostate) et féminines (vagin et utérus). La médecine n’en dénombre officiellement qu’environ 500 cas en France, ce qui n’est déjà pas si anecdotique. Maintenant on parle d’intersexuation, le I de LGBTQIA+.

Hermaphrodite est un mythe d’origine asiatique qui est parvenue en Grèce à l’occasion des conquêtes grecques. Dans la mythologie grecque, Hermaphrodite est le fils de Hermès, lui-même fils de Zeus, dieu des routes et des carrefours, et par là, du commerce, des voyageurs et des voleurs. Sa mère, Aphrodite est la déesse de la beauté, de l’amour, du plaisir et de la procréation. D’où son nom, composé du patronyme paternel et maternel : Herm-aphrodite, premier indice du prétendu bouleversement des mœurs actuels.

Hermaphrodite était d’une beauté sans pareille. A l’âge de 15 ans, il décide de parcourir le monde, atavisme paternel sans doute. Au bord d’un lac ou d’une source, il rencontre la nymphe Salmacis, qui tombe amoureuse de lui et l’emmène dans les eaux, demande aux dieux de que son corps ne puisse jamais plus se séparer du jeune homme. Ainsi naît deux êtres en un, à la fois homme et femme. Depuis, tout être humain se baignant dans ces eaux, se transforment illico en être doté des 2 sexes

Pour autant, il est indéniable que tout être humain recèle des traces de l’autre sexe, ne serait-ce que le clitoris chez la femme et les tétons chez l’homme, des survivances d’organes sans fonction, ni fonctionnels, si ce n’est du point de vue du plaisir sexuel, ce qui n’est pas rien.

Revenons à Freud et à la bisexualité psychique. Freud rencontre Wilhelm Fliess en 1987, alors qu’il assiste aux premières conférences de Freud. Fliess est alors un ORL réputé exerçant à Berlin. Après Josef Breuer, Fliess sera le 2ème confident de Freud, que certains considèrent qu’ils serviront d’analyste dans la pseudo « auto-analyse » de Freud, tant les correspondances avec l’un puis avec l’autre furent nombreuses, voire journalières. Freud Lui-même reconnaîtra à propos de Fliess une pulsion homosexuelle : « Tu es le seul Autre » lui écrit-il en 1984, avec un grand A, comme quoi Lacan a bien lu tout Freud.

Dès 1885, Fliess s’était intéressé à la sexualité infantile, comme d’autres philosophes et psychiatres allemands de la fin du XIXème siècle. Fliess était un excentrique, obsédé par la numérologie. Il avait ainsi élaboré sa théorie des périodes : la pathologie humaine était sujette aux cycles biorythmiques, de 23 jours chez l’homme et de 28 jours chez la femme. Pour autant, Freud comme Fliess, se trouvaient en marge de l’orthodoxie médicale, et juifs de surcroit.

En 1897, Fliess publie « Les relations entre le nez et les organes génitaux féminins présentés selon leur signification biologique ». C’est aussi Fliess qui suggère à Freud la notion de bisexualité biologique : « Un certain degré d’hermaphrodisme anatomique est normal. Chez tout individu soit mâle, soit femelle, on trouve des vestiges de l’appareil génital opposé ». Pour Fliess, c’est le conflit entre les tendances masculines et féminines qui conditionnent le refoulement, dès lors, Freud lui reproche de sexualiser le refoulement en le fondant sur des bases biologiques. Pour Freud, est refoulée toute représentation incompatible avec le moi, alors que pour Fliess, le refoulement concerne les seules motions de l’autre sexe que celui attribué au sujet.

Freud rompt les relations avec Fliess en 1900, et on peut dire que dès ces origines, la psychanalyse est non seulement objet de critiques virulentes, mais aussi de dissensions internes, voire de fragmentations, qui sont à mon sens un signe de bonne santé, d’une théorie toujours interrogée, constamment en construction, non dogmatique et ouverte aux sciences connexes, qu’elles soient anthropologiques, sociologiques, philosophiques, mais aussi mathématiques ou physiques et d’autres.

Fliess se fâchera définitivement avec Freud en 1906, en publiant un réquisitoire intitulé « Pour ma propre cause« , dans lequel il reproche à Freud d’avoir servi d’intermédiaire : Otto Weinniger avait publié en 1904 « Sexe et caractère« , qui reprend les idées de Fliess alors même que le manuscrit avait été soumis à Freud. Freud détruit alors toutes les lettres de Fliess, celles de Freud envoyées à Fliess sont rachetées en 1936 à un marchand par Marie Bonaparte qui refuse de les confier à Freud. Elles seront publiées intégralement en français en 2006.

Dans son texte de 1908, « Fantasmes hystériques et leur relation à la bisexualité », Freud décrit le symptôme hystérique

  • comme le symbole mnésique de certaines impressions et expériences traumatiques
  • dont il est le substitut,
  • qui exprime un accomplissement de désir,
  • en vue de la satisfaction sexuelle,
  • selon un mode qui a été réel dans la vie infantile avant d’être refoulé
  • et qui réalise un compromis entre 2 motions d’affects ou pulsionnelles, l’une la satisfaisant, l’autre la condamnant.

En définitive, écrit Freud, « Un symptôme hystérique est l’expression d’une part d’un fantasme sexuel inconscient masculin, et d’autre part, d’un fantasme sexuel inconscient masculin ». Le fantasme hystérique trahit ainsi la disposition bisexuelle de l’espèce humaine.

Lacan reprend la question de la bisexualité psychique lors de son séminaire sur « Les structures freudiennes des psychoses » (11/01/1956) : « Les adéquations naturelles sont chez l’homme, profondément déconcentrées, ce n’est pas simplement parce qu’il est un mammifère pour qui la bisexualité joue un rôle essentiel, cette bisexualité fondamentale est en effet…plus complexe, parce que la symbolisation y joue, autrement dit la loi, y joue un rôle primordial… Il n’est pas question d’articuler quelque chose sur la sexualité humaine s’il n’y a pas ceci, qu’elle doit se réaliser par et à travers une certaine loi fondamentale qui est simplement une loi de symbolisation… C’est simplement la loi du malentendu, grâce à laquelle nous survivons, grâce à laquelle nous pouvons par exemple satisfaire, quand nous sommes un homme, nos tendances féminines dans une relation symbolique, tout en restant parfaitement sur le plan imaginaire et réel, un homme pourvu de sa virilité ».

Plus tard (26/01/75), en réponse à une question, Lacan précise : « Qu’on puisse mettre l’accent dur la bisexualité tout comme l’a fait Freud, c’est vraiment dire que l’identification du sujet à un sexe sur les 2 est quelque chose de plus radical, qui pourrait être exactement corrélatif de ce que cet être entre tous les êtres est parlant ».

Au-delà de la bisexualité, parce qu’il constate qu’il n’y a pas de représentant de la représentation masculin-féminin, Freud propose de distinguer les pulsions, entre celles à but actif et celles à but passif. Dans « Le malaise dans la civilisation » (1929), Freud écrit ainsi : « L’homme est un animal doué d’une disposition non équivoque à la bisexualité. L’individu correspond à une fusion de 2 demis symétriques dont d’un est purement masculine et l’autre féminine… L’opposition (masculin-féminin) s’estompe en cette autre opposition : activité-passivité. Ici c’est alors trop à la légère que nous faisons correspondre l’activité à la masculinité, la passivité avec la féminité ».

En 1903, dans l’article « Différenciation de l’homme et de la femme », Freud indique la nature purement masculine de la libido : « Si l’on était capable de donner un contenu plus précis aux concepts de masculin et féminin, il serait même possible de soutenir que la libido est, de façon régulière et conforme à des lois, de nature masculine, qu’elle se manifeste chez l’homme ou chez la femme, et abstraction faite de son objet, que celui-ci soit l’homme ou la femme ».

Plus loin, Freud précise : « La libido est masculine car la pulsion est toujours active même quand elle s’est fixé un but passif. Pour l’être humain, on ne trouve pas de pure masculinité ou féminité, ni au sens psychologique, ni au sens biologique. Chaque individu présente bien plutôt un mélange de ses propres caractères sexuels biologiques et de traits biologiques de l’autre sexe, et un amalgame d’activité et de passivité, que ces traits de caractère psychiques dépendent des caractères biologiques ou qu’ils soient indépendants ».

In fine, Freud estime que « tous les êtres humains sont bisexuels (…) Si la bisexualité des êtres humains apparaît parfois comme un grand malheur et la source de maux infinis, nous ne devons pas oublier que sans elle, la société humaine ne pourrait exister. Si l’homme n’était qu’activité agressive, et la femme passivité, la race humaine aurait cessé d’exister avant l’aube de l’histoire, car les hommes se seraient massacrés jusqu’au dernier ».

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