Didier Fassin : « On a remplacé la prévention défaillante par une forme de politique sanitaire avec un confinement rigoureusement contrôlé »

Source : Le Monde, 26/05/20

La plupart des gouvernements du monde ont choisi de mettre en œuvre des mesures draconiennes sans précédent pour éviter la progression de l’infection. Quel sens donner à ce choix ?

Il faut noter que les mesures ont été d’autant plus draconiennes que les pouvoirs publics n’étaient pas préparés et que leurs réponses ont été tardives. On a alors fait rattraper aux citoyens le temps perdu par leurs gouvernants, et on a remplacé la prévention défaillante par une forme de police sanitaire avec un confinement rigoureusement contrôlé. C’est dans ces pays que l’interruption de l’activité économique et sociale a, en général, été la plus brutale et la plus radicale. Mais même là où l’épidémie a été mieux gérée, il y a eu une cessation de cette activité.

Le phénomène est sans précédent. Il se paie d’un double sacrifice. Il y a d’abord une suspension partielle, et variable selon les contextes, de l’Etat de droit, qui va bien plus loin que les restrictions à la circulation, puisqu’elle touche l’équilibre entre les pouvoirs, la possibilité de manifester ou même de protester, le simple droit à mourir dans la dignité. Il y a ensuite une crise économique et sociale, qui se traduit par une récession, une montée du chômage, une austérité à venir et un très probable accroissement des inégalités qui vont laisser des traces d’autant plus profondes que les économies étaient fragiles et que l’Etat social était réduit. Or ce double sacrifice n’a qu’une raison d’être : sauver des vies, ou ce qui revient au même ici, éviter des morts. C’est une politique humanitaire. Conduite à l’échelle de la planète avec un coût aussi élevé, elle n’a pas d’équivalent dans l’histoire. Elle révèle la valeur supérieure accordée par nos sociétés à la vie, entendue comme vie simplement physique, ou même biologique. Que nous soyons prêts à tant de renoncements, imposés du reste de façon très inégale, devrait questionner.

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L’association libre

Voici ce que Freud disait à ses patients :

« Votre récit doit différer, sur un point, d’une conversation ordinaire. Tandis que vous cherchez généralement, comme il se doit à ne pas perdre le fil de votre récit et à éliminer toutes les pensées, toutes les idées secondaires qui gêneraient votre exposé et qui vous feraient remonter au déluge, en analyse vous procédez autrement. Vous allez observer que, pendant votre récit, diverses idées vont surgir, des idées que vous voudriez bien rejeter parce qu’elles sont passées par le crible de votre critique. Vous serez alors tenté de vous dire : « ceci ou cela n’a rien à voir ici » ou bien : « telle chose n’a aucune importance » ou encore : « c’est insensé et il n’y a pas lieu d’en parler ». Ne cédez pas à cette critique et parlez malgré tout, même quand vous répugnez à le faire ou justement à cause de cela. Vous verrez et comprendrez plus tard pourquoi je vous impose cette règle, la seule d’ailleurs que vous deviez suivre. Donc, dites tout ce qui vous passe par l’esprit. Comportez-vous à la manière d’un voyageur qui assis près de la fenêtre de son compartiment, décrirait le paysage tel qu’il se déroule à une personne placée derrière lui. Enfin, n’oubliez jamais votre promesse d’être tout à fait franc, n’omettez rien de ce qui pour une raison quelconque, vous paraît désagréable à dire (…)[1]. »

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