Patrick LANDMAN / Le diagnostic au goût du jour :  le TDA/H (trouble déficitaire de l’attention, avec ou sans hyperactivité)

Nommer différemment les invariants

La manière de décrire, de nommer les troubles mentaux ainsi que les paradigmes théoriques dominant la psychiatrie diffèrent profondément d’une époque à une autre.

Au bout d’un certain temps d’usage les mots employés pour désigner les pathologies mentales s’usent et sont remplacés par d’autres, par exemple la démence précoce laisse place à la schizophrénie. Ces changements dans le lexique de la langue psychiatrique ne reflètent nullement une quelconque avancée scientifique mais plutôt une évolution des mœurs, une modification du regard social sur le normal et le pathologique ou un abandon de paradigmes dont il a été fait un mésusage.

Il est remarquable en soi pour une discipline médicale que les mots employés pour désigner une pathologie soient tributaires de l’évolution de la langue, du langage courant mais surtout cette mobilité linguistique comporte  elle-même plusieurs aspects distincts.

Pendant longtemps jusqu’au milieu du siècle dernier les parties prenantes à cette évolution de la langue psychiatrique étaient essentiellement composées de médecins psychiatres considérés comme des maîtres en psychiatrie qui mettaient leur génie clinique classificatoire au service d’une œuvre nosographique tout imprégnée de théories implicites empruntées à des théories scientifiques de leur époque ou plutôt à des idéologies scientifiques comme l’hérédo-dégénérescence par exemple. Ces maîtres ne faisaient en fait que décrire avec d’autres mots des tableaux invariants observés de longue date  mais présentés autrement : que l’on  songe à la folie circulaire de Jean-Pierre  Falret devenue psychose maniaco-dépressive chez Emil Kraepelin ou à la démence précoce de Emil Kraepelin devenue la schizophrénie de Eugen Bleuler.

Bien sûr, ces changements d’appellation n’étaient pas seulement le reflet d’une orientation nominaliste, dans le sens où ils n’étaient pas dénués d’idées théoriques ou culturelles avec lesquelles les nouveaux noms pouvaient à l’évidence présenter des affinités électives, par exemple l’idée de Spaltung ou dissociation, issue des théories philosophiques de la conscience, dans le mot schizophrénie s’opposant et venant se substituer à la conception dégénérative dominante de la démence précoce.

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Troubles psychiques : « La prise en charge précoce des 15-25 ans est une urgence »

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.Le drame récent d’un adolescent agressant mortellement une professeure en pleine classe a mis de nouveau la psychiatrie sous un éclairage cru et brutal. Il ne s’agit pas de commenter ce cas singulier, ce pour quoi nous n’avons ni les éléments suffisants ni les prérogatives. Mais il nous donne l’occasion de constater les travers de la communication sur la santé mentale des jeunes (et la stigmatisation qu’ils font naître) : un diagnostic trop vite avancé sur les plateaux (« bouffée délirante aiguë »entraînant un geste « imprévisible ») et ensuite révisé, induisant une confusion entre préméditation et possibles symptômes d’alerte (certains camarades auraient remarqué un comportement inhabituel les jours précédents).

Ni fatalisme ni réponse légale ne doivent nous satisfaire : ils témoignent du fait que nous arrivons « trop tard », sans avoir pu éviter la perte d’une vie, l’anéantissement de l’avenir d’un jeune et le traumatisme d’une classe, d’un établissement scolaire entier, sans oublier la douleur des deux familles.

Ce qui n’a pas été dit, c’est que c’est entre 15 et 25 ans qu’apparaissent le plus souvent les troubles psychiatriques de l’adulte à venir, et que ces troubles sont rarement imprévisibles : dans les trois quarts des cas, il existe des signes avant-coureurs (tentative de suicide, repli, changement de comportement). Ces signaux faibles pourraient permettre de donner l’alerte. Mais la réalité du terrain est complexe : où trouver le praticien qui a à la fois la compétence et la disponibilité ? Trop souvent, en effet, les signaux d’alerte ne sont pas identifiés, ou pas pris en compte, et ce n’est que lorsqu’il y a crise, accident ou troubles massifs, que des soins sont mis en place, souvent par le biais des services d’urgence.

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Patrick Landman : la guerre des psychanalystes contre le DSM

Publié le 27 août 2018 sur le blog d’ Olivier Douville

Depuis quarante ans le combat que mènent les psychanalystes principalement dans le champ de la santé mentale est très paradigmatique d’une certaine évolution de la culture dans les pays occidentaux et de ce que Freud appelait son « malaise ».

Reportons-nous en l’an mille neuf cent soixante-quinze : la psychanalyse est quasi hégémonique dans la psychiatrie, ses modèles psychopathologiques sont acceptés et utilisés par une majorité de praticiens, les autres pratiques qui se référent au comportementalisme sont minoritaires et les psychanalystes ont appris à travailler avec les progrès de la pharmacologie. Il existe pourtant déjà une ombre au tableau : les parents d’enfants autistes s’insurgent contre l’idée que l’autisme de leur enfant puisse être relié causalement à l’interaction précoce entre l’enfant et les parents ou à une faille dans le désir des parents, ils dénoncent l’effet culpabilisant de ces hypothèses non prouvées, ils sont persuadés que le point de départ de l’autisme est à situer dans un dysfonctionnement biologique d’origine génétique sans que que l’on sache l’enchaînement des causalités qui aboutissent à l’autisme et que les problèmes liés à l’interaction sont secondaires. L’histoire validera globalement leur thèse.

QUELQUES RAISONS DU DÉCLIN DE LA PSYCHANALYSE LIÉES AU DSM
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« Il faut donner à la psychiatrie les moyens ambulatoires et hospitaliers qui lui ont été soustraits lors de la fermeture de 70 000 lits »

Psychiatrie : « Traitement inhumain et dégradant » au CHU de Saint-Étienne  - Le Point

Psychiatres, infirmiers, psychologues, membres du Collectif inter-hôpitaux, nous souhaitons alerter la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, Dominique Simonnot, sur les atteintes réitérées portées aux droits et à la dignité des patients relevant de soins psychiatriques. Depuis quelques années, les conditions d’accueil des patients se dégradent fortement et des pratiques réputées disparues reviennent : les contentions mécaniques se banalisent dans de nombreux services d’urgence des hôpitaux français. Et ce, sans aucun contrôle d’aucune instance.

Dans vos recommandations en urgence du 1er février 2018 sur le CHU de Saint-Etienne, la situation était parfaitement analysée : l’absence de lits d’aval constitue un « dysfonctionnement majeur [qui] conduit les soignants à accepter l’instauration de pratiques contraires au droit comme d’ailleurs à leur volonté première ». Les politiques de santé publique réduisant la place de l’hôpital public dans le dispositif de soins ont des conséquences : concentration des patients les plus sévères dans un même lieu, pression sur les durées moyennes de séjour, impossibilité d’hospitaliser dans un délai raisonnable les patients suivis. Lire aussi l’enquête : La très grande souffrance de la psychiatrie française

L’agitation et la peur

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La très grande souffrance de la psychiatrie française

Source : Le Monde, 17/07/20

La demande des patients explose et l’offre dysfonctionne : la pandémie a aggravé les maux chroniques des hôpitaux psychiatriques. La profession est divisée sur les raisons de la crise comme sur les remèdes.

La demande des patients explose et l’offre dysfonctionne : la pandémie a aggravé les maux chroniques des hôpitaux psychiatriques. La profession est divisée sur les raisons de la crise comme sur les remèdes.

La catastrophe annoncée n’a pas eu lieu. Alors que les plus pessimistes, aux premiers jours du confinement instauré pour lutter contre l’épidémie de Covid-19, prévoyaient une prise en charge ingérable des malades psychiatriques, la mobilisation des professionnels a permis de limiter les dégâts. De fait, les établissements psychiatriques ont réorganisé leurs services et le circuit des admissions de telle sorte que l’épidémie de Covid est restée contrôlable, et aucun « tri de patients » n’a été nécessaire pour cause d’indisponibilité de lits. Mais le pire reste sans doute à venir.

Ruptures de soins durant le confinement (10 % des malades auraient été perdus de vue), isolement social accru, discours alarmiste sur la crise sociale à venir : l’effet boomerang que redoutent les professionnels de santé commence déjà à se faire sentir.

En Ile-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes et Nouvelle-Aquitaine, les patients affluent aux urgences psychiatriques. Dans le département de Seine-Saint-Denis, sous tension maximale, les lits manquent pour hospitaliser des malades en grande demande. « De la souffrance psychique est née dans la population confinée et les besoins de soins ont globalement augmenté », constate le délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie, Franck Bellivier. Et de nouveaux patients sans antécédents psychiatriques pourraient se présenter à la rentrée, souffrant en contrecoup de stress post-traumatique ou d’épisodes dépressifs. De quoi aggraver encore la souffrance de la psychiatrie française, grande malade de la santé publique en France.

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