Anna O., la surprise du transfert

Bertha Pappenheim

En allemand, übertragung de über, au-dessus et tragen, porter, supporter : soit, littéralement, porter-dessus. Dans la langue courante, employé pour transmission voire retransmission d’une émission de radio , mais aussi pour transcription, traduction, etc.

En français, transfert selon le Larousse, c’est l’action de transférer, de déplacer quelque chose ou quelqu’un : en Droit, le transfert de propriété par ex., en sport, le changement de club d’un joueur, etc.

L’expression « faire un transfert sur quelqu’un » est une expression assez courante depuis que certaines notions psychanalytiques se sont banalisées. De ce quelqu’un, il s’agit le plus souvent d’une personne en position de savoir : le médecin, l’enseignant, le politique, etc. ; mais aussi de en position de savoir faire ou de savoir y faire, comme le sportif, le chanteur. Le transfert, au sens commun, s’équivaut à l’élan affectif, une certaine admiration voire énamoration.

Mais le transfert, tel qu’il a été découvert et tel qu’il est conceptualiser en psychanalyse répond à une réalité, voire un réel bien plus complexe.

Cette année je vais m’attacher à répondre à ces quelques questions posées par ma petite note d’invitation :

Qu’est-ce que le transfert ?

En quoi y-a-t il une spécificité du transfert en psychanalyse ?

Quelle est la fonction du transfert dans la cure, et en quoi celle-ci est-elle primordiale ?

Qu’est-ce que « le maniement du transfert » par l’analyste, comme le théorise Freud puis Lacan, et en quoi ce « maniement » conditionne les autres éléments de la cure, jusqu’aux interprétations même ?

Dans un premier temps, nous aborderons cette découverte, et même cette invention du transfert par Freud.

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Clinique 2.0 (III) : Phallus

Phallus

Je vais reprendre là où je vous avais laissé la dernière fois, c’est-à-dire la question du phallus.Il n’y a que de rares occurrences du terme phallus dans l’œuvre de Freud. J’en retiens deux :

  • 1923, « L’organisation génitale infantile » : « Le caractère principal de cette organisation génitale infantile est en même temps ce qui la différencie de l’organisation génitale définitive de l’adulte. Il réside en ceci que, pour les 2 sexes, un seul organe génital, l’organe mâle, jour un rôle. Il n’existe donc pas de primat génital, mais un primat du phallus ».

Freud indique ainsi que ce n’est pas le pénis, l’organe masculin qui prime, mais ce qu’il désigne du nom de phallus, en tant que le phallus est de tout temps, et dans toutes les régions du monde, est une représentation figurée, et souvent démesurée, de l’organe mâle en érection. Le phallus représente donc la fonction symbolique attribuée à l’organe anatomique.

  • 1927,  » Le fétichisme » : « Le fétiche est le substitut du phallus de la mère auquel a cru le petit enfant et auquel il ne peut renoncer ».

Freud emploiera plus volontiers le terme de stade ou phase phallique, qui fait suite aux stades oral et anal. La genèse de cette approche se trouve déjà dans « Les 3 essais », nous nous en contenterons pour notre propos aujourd’hui.

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Clinique 2.0 (II) : Bisexualité

Hermaphrodite

Nous allons partir de la bisexualité psychique, dont la notion n’a jamais été démenti, ni par Freud, ni par Lacan.

La bisexualité s’origine de la nuit des temps. De tout temps, des êtres humains naissent dotés des organes mâles et féminins. Certains estiment que 4% de l’humanité naissent avec des organes masculins et féminins. Le terme d’hermaphrodisme appliqué aux humains a commencé à être employé par la médecine vers la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. À la naissance, on pratique en général l’ablation de l’attribut le moins développé, opération doublée d’une hormonothérapie.

L’hermaphrodisme vrai désigne un cas rare d’intersexuation : la personne est dotée de chromosomes sexuels variables (XX, XY), mais naît le plus souvent avec une ambiguïté sexuelle et la présence simultanée de tissus testiculaires et ovariens, conduisant au développement de structures masculines (véritable pénis érectile et prostate) et féminines (vagin et utérus). La médecine n’en dénombre officiellement qu’environ 500 cas en France, ce qui n’est déjà pas si anecdotique. Maintenant on parle d’intersexuation, le I de LGBTQIA+.

Hermaphrodite est un mythe d’origine asiatique qui est parvenue en Grèce à l’occasion des conquêtes grecques. Dans la mythologie grecque, Hermaphrodite est le fils de Hermès, lui-même fils de Zeus, dieu des routes et des carrefours, et par là, du commerce, des voyageurs et des voleurs. Sa mère, Aphrodite est la déesse de la beauté, de l’amour, du plaisir et de la procréation. D’où son nom, composé du patronyme paternel et maternel : Herm-aphrodite, premier indice du prétendu bouleversement des mœurs actuels.

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Clinique 2.0 (I) : LGTBQIAT+

Drei_Abhandlungen_Freud_tp

Clinique actuelle : LGTBQIA(+), non hétérosexuels

  • T = transgenre, transsexuel = opéré
  • B = bisexualité, banale dans la Grèce antique, à Rome, en France jusqu’au Moyen-Age
  • Q = queer = tordu, bizarre = militants de l’abolition des genres et des identités sexuelles, lutte contre le patriarcat
  • I = intersexe, en médecine hermaphrodisme
  • A = asexué, désintérêt pour le sexe

Aux USA : LGTTQQIAAP = lesbian, gay, bisexual, transgender, transexual, queer, questionning, intersexual, asexual, allies, pansexuel.

3 essais

1905, écrit en même temps que « Le mot d’esprit et son rapport à l’inconscient »

1000 exemplaires brochés (pas chers) vendu en 4 ans, 4000 autres entre 1910 et 1920.

Nombreux ajouts ultérieurs, surtout en 1915 : 100 pages de plus

Freud accusé d’immoralité :

  • Enfant pervers polymorphe
  • Parents 1ers objets sexuels
  • Sexualité de l’adulte d’origine infantile

Jones : On cessa de saluer Freud dans la rue

Thèse à l’encontre des connaissances biologiques, de la morale religieuse, de l’opinion populaire

La sexualité humaine n’est au service que d’elle-même, elle échappe à l’ordre de la nature. Elle est pour ainsi dire contre nature.

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Névrose, psychose… et perversion

Avec « Au-delà du principe de plaisir« , publié en 1920, Freud élabore la seconde topique, une nouvelle représentation de la vie psychique, qui reste compatible avec la première (Inconscient, préconscient, conscient) : Moi, Ça et Surmoi. Par la même occasion, il introduit la notion de pulsion de mort, considérée comme compulsion tendant à répéter une expérience pénible. Freud tire la leçon des névroses traumatiques générées par la guerre 14-18.

Freud accentue la démarche avec « Le Moi et le Ça », publié en 1923, « placé sous l’égide de Groddeck« [1]. Georg Groddeck se qualifiait lui-même d’ « analyste sauvage », volontiers provocateur et rétif aux institutions psychanalytiques. Groddeck emprunte à Nietzsche la notion de ça : « Je pense que l’homme est vécu par quelque chose d’inconnu. Il existe en lui un Ça, une sorte de phénomène qui préside à tout ce qu’il fait et à tout ce qui lui arrive… L’homme est vécu par le Ça« [2]. Les deux hommes échangent leurs points de vue par correspondance.

Freud publie « Le Moi et le Ça » quelques semaines après « Le livre du Ça » de Groddeck, ce qui bien entendu ne plût guère à ce dernier. D’autant que le Ça de Freud diffère assez de celui de Groddeck : « Freud n’admettait pas que nous soyons vécus par le Ça (…) Il croyait en des forces inhérentes à l’esprit humain, concentrées dans le moi, qui permettaient aux hommes d’exercer une certaine maîtrise, tout au moins partielle, sur eux-mêmes et sur le monde extérieur« [3].

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Sidonie Csillag, la jeune homosexuelle de Freud

« Sur la psychogenèse d’un cas d’homosexualité féminine » est daté de 1920, cet article de Freud relate le cas d’ « une jeune fille de dix-huit ans, belle et intelligente, issue d’une famille socialement haut placée » qui le consulte quelques mois en 1919.

D’emblée, Freud « avait plusieurs raisons de se sentir mal à l’aise ». C’est que, d’une part, la demande émane des parents : « Il n’est pas indifférent qu’un être humain vienne à l’analyse de son propre mouvement ou qu’il le fasse parce que d’autres l’y amènent » ; et, d’autre part part, cette jeune fille s’avère asymptomatique : elle « n’était pas malade – elle ne souffrait pas pour des raisons internes, elle ne se plaignait pas de son état ».

Autant dire que l’affaire s’annonce mal, mais Freud n’est guère en mesure de refuser un coup de pouce financier : « La vie à Vienne devient de plus en plus difficile ; on a du mal à se nourrir et plus encore à se chauffer ; et la spéculation et l’inflation rendent les pénuries d’autant plus intolérables (…) Freud se plaint à ses amis proches, surtout en hiver : ils n’ont pas, lui et sa famille, de quoi manger à leur faim, et il est là, dans son bureau glacial, à s’efforcer d’écrire, les doigts gourds »[1].

Il existe une autre raison, dont Freud ne parle pas, pour qu’il s’intéresse à l’homosexualité féminine. C’est qu’à cette époque, il est préoccupé par la question de l’homosexualité féminine de sa propre fille Anna, qui est en analyse avec lui depuis plus d’un an.

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Contribution à la connaissance de la genèse des perversions sexuelles

« Un enfant est battu » est écrit de Freud mars 1919, alors même qu’il rédigeait « Au-delà du principe du plaisir« , paru en 1920, et qui introduit la seconde topique : « Ça, Moi et Surmoi », en lieu est place de « Conscient, préconscient et inconscient » qui prévalait jusqu’alors.

Avec la seconde topique, il ne s’agit rien moins que de la refondation de la psychanalyse, à l’encontre de ses plus anciens compagnons qui laissaient libre court à leurs propres fantasmes dans leur interprétation de la théorie analytique : la notion de bisexualité fondamentale chez Fliess, celle de la protestation virile chez Adler –que Freud récuse fermement dans ce texte-, mais aussi on peut penser à Jung, dont il avait fait son héritier, mais dont il s’est séparé en 1913 pour dérive mystique.

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Le mythe et l’entrée dans la névrose

Jacob Freud décède en 1896, et son fils, Sigmund est âgé de 40 ans. Il entame une longue introspection, ponctuée par une correspondance soutenue avec Wilhem Fliess : ce que l’on appellera son auto-analyse. Freud prend un soin particulier à analyser ses propres rêves, formations inconscientes s’il en est : « J’ai trouvé en moi, comme partout ailleurs, des sentiments d’amour envers ma mère et de jalousie envers mon père ». Dès lors, Freud abandonne la « Neurotica », qui incriminait la séduction réelle par le père à l’origine de l’hystérie : le fantasme prend le pas sur le traumatisme.

Dans une lettre à Fliess datée du 20 mai 1898, Freud écrit : « Tous les névrosés se forgent ce qu’on appelle un roman familial (qui devient conscient dans la paranoïa). D’une part ce roman flatte la mégalomanie et d’autre part, il constitue une défense contre l’inceste ».

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Œdipe, rêve de Freud

Le travail d’interprétation des rêves que propose Freud s’attache donc avant tout au contenu latent du rêve, qui se révèle bien plus signifiant que le contenu manifeste. C’est là le pas de côté de Freud, qui lui permet de s’affranchir de toute la tradition orinomancienne, et du symbolisme populaire qui tente de décrypter le message du rêve à partir des images du contenu manifeste.

Au-delà même du rêve, celui-ci apparaît paradigmatique de la méthode psychanalytique. La méthode d’interprétation des rêves que propose Freud ne recèle pas moins que l’ensemble des fondements de  la pratique de la psychanalyse elle-même.  La primauté à la libre association – contenu latent, sur l’exposé du symptôme – contenu manifeste, par exemple ; indique bien en quoi la vérité du sujet se situe dans un au-delà, une autre scène, inconsciente, qu’il s’agit de mettre à jour dans les linéaments d’une parole adressée à un autre. Un autre, un tiers, qui joue l’inter médiateur entre le vécu conscient, actuel, et l’ensemble de ce qui se trouve enfoui, qui, loin d’être oublié, n’en détermine pas moins l’actualité symptomatique.

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La belle bouchère

« Freud sur le rêve doit être lu, parce qu’il n’est pas possible autrement ni de comprendre ce qu’il entend par le désir du névrosé, par refoulé, par inconscient, par l’interprétation, par l’analyse elle-même, ni d’approcher quoi que ce soit de sa technique ou de sa doctrine »[1].

Freud nous livre donc d’emblée la clef de son interprétation des rêves : « Après interprétation complète, tout rêve se révèle comme l’accomplissement d’un désir ».

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