Témoignage de Moustapha Safouan – recueilli en octobre 2019 par G. Pommier et Gricelda Sarmiento

G. Pommier : Moustapha Safouan, vous êtes le témoin et un des acteurs de l’épopée de la psychanalyse en France. Elle n’a véritablement pris son essor qu’après la deuxième guerre mondiale, alors que les praticiens n’étaient qu’une poignée. C’est à partir de quelques personnes, de leur style et de leurs divergences que l’aventure a commencé. Nous vous rencontrons aujourd’hui, vous qui avez plus de cent ans, pour recueillir le témoignage de cette singularité de votre expérience. Vous avez connu Jacques Lacan avant les années 1950, pouvez-vous nous dire un mot de votre première rencontre avec lui ? Comment cela s’est-il passé ?
MS : J’ai fait mon analyse entre le mois de janvier 46 et la fin de l’année scolaire de 1949 en juin chez Schlumberger. Au cours de cette année-là, je venais de refaire un doctorat de philosophie à la Sorbonne. Pendant cette analyse, j’allais souvent aux réunions de La Société de Psychanalyse de Paris. C’est là que j’ai entendu parler Lacan. Il tenait un langage qui paraissait incompréhensible à la plupart des auditeurs, et qui était de toute évidence incompris de Nacht, par exemple : il lui demandait assez souvent « Mais que voulez-vous dire par là ? » Il attendait de Lacan une réponse, sans pouvoir bien formuler lui-même le sens de sa question. Alors, moi par contre, j’ai été tout de suite séduit par Lacan, parce qu’il utilisait un vocabulaire qui m’était plus parlant que le glossaire purement psychosomatien, ou médical, qui était la norme. Il parlait du sujet.
GP : Est-ce que Schlumberger, qui était votre analyste, était présent à ces réunions ?

Lire la suite