Jacques Lacan : « L’acte psychanalytique »

« L’Acte psychanalytique » : Jacques Lacan surpris par Mai 68

Jacques-Alain Miller livre son édition du Livre XV du séminaire du psychanalyste, qui traite de la relation entre maître et disciple – à point pour les événements de mai 1968.

Par Elisabeth Roudinesco (Historienne et collaboratrice du « Monde des livres ») Publié le 12 février 2024

« L’Acte psychanalytique. Le séminaire, livre XV », de Jacques Lacan, édité par Jacques-Alain Miller, Seuil/Le Champ freudien, 320 p., 26 €.

Consacré à « l’acte psychanalytique », ce séminaire, délivré à l’Ecole normale supérieure entre novembre 1967 et juin 1968, occupe une place singulière dans l’œuvre orale de Jacques Lacan (1901-1981). Celui-ci affronte, cette année-là, une crise interne au sein de l’Ecole freudienne de Paris, qu’il a fondée en 1964. Il veut en effet introduire une nouvelle procédure de nomination des psychanalystes (la « passe »), peu appréciée de ses compagnons de route. Quant à la révolte ­étudiante, elle vient perturber son enseignement dès avril 1968.

La situation est d’autant plus paradoxale que Lacan expose devant son auditoire une réflexion sur la relation entre un maître et ses disciples alors même que, dans la rue, les insurgés contestent une autorité mandarinale dont il est un pur représentant. Aussi bien est-il confronté à une réalité qui le prend au dépourvu.

L’acte analytique tel qu’il le conçoit se définit comme un travail de l’inconscient au cours duquel un élève (analysant) peut devenir psychanalyste grâce à un analyste occupant la place d’un maître, appelé « sujet-supposé-savoir ». A la fin de la cure, celui-ci « s’évanouit » fantasmatiquement, tandis que l’analysant devient psychanalyste et doit assumer à son tour une transmission du savoir clinique et théorique.

Tout en citant élogieusement un article du philosophe et historien libéral Raymond Aron, son « ami », Lacan fait état, avec fierté, de sa rencontre avec Daniel Cohn-Bendit. Et il en profite pour réprimander ses disciples qui, au lieu d’aider les étudiants à « lancer des pavés », leur ­demandent ce qu’ils « attendent d’eux ».

Noms effacés

Il est regrettable que l’éditeur du texte, Jacques-Alain Miller, ait cru bon de supprimer deux séances de ce séminaire : celle du 31 janvier 1968, au cours de laquelle, en l’absence de Lacan, ses principaux disciples discutent du contenu de son enseignement, et celle, très courte, du 8 mai, où il se dit solidaire de l’ordre de grève lancé par le Syndicat national de l’enseignement supérieur. Ont disparu ainsi la plupart des interventions qui prouvent à quel point Lacan élaborait sa conceptualité dans une confrontation permanente avec ses partisans. En tout, les noms d’une vingtaine d’entre eux ont été effacés, dont ceux de Xavier Audouard, François Tosquelles, Félix Guattari, Jean Oury ou Jean Ayme.

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Olivier Douville : « La psychanalyse dans le monde du temps de Freud »

Une telle entreprise a pour but de présenter les contextes enthousiastes ou polémiques de la réception de la psychanalyse, les diverses interprétations et relectures qui en furent proposés dans des mondes extra-européens, les lignes de son évolution, les modes d’organisation institutionnelle de la psychanalyse. Ainsi s’entrevoit la façon dont les notions cruciales de la psychanalyse freudienne furent nouées avec les débats d’idées, les créations d’institution et les dialogues avec la modernité pour faire histoire et corpus.

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Décès de Gérard POMMIER

Gérard POMMIER, psychiatre, psychanalyste, est décédé ce 1er août à l’âge de 82 ans. Lire ici la page Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/G%C3%A9rard_Pommier

Je connaissais bien Gérard, pour m’être rendu à plusieurs reprises chez lui, sur les bords du canal St Martin, afin de tenter d’écrire une sorte d’ abrégé de clinique psychanalytique. Y étaient présents, Jean-Pierre LEBRUN, Patrick LANDMAN, Jean-Louis CHASSAING, Thierry ROTH, Martine LERUDE, Louis SCIARA et d’autres psychanalystes venant de diverses associations analytiques. Nous étions toujours bien reçus, dans le loft situé dans le fond d’une cour où il habitait, des cages à oiseaux suspendues à la mezzanine sonorisaient l’espace. C’était en 2015, et je me souviens avoir bu une chope avec d’autres à la sortie de la réunion au bar du « Petit Cambodge », le vendredi précédent la fusillade… Ce n’était pas mon heure…

A la suite d’Élie DOUMIT, je l’avais invité plusieurs fois tant à Lille dans le cadre de l’Ecole psychanalytique des Hauts de France qu’à Douai dans celui de l’Unité de Recherches et de Formation sur les Drogues. Nous avions plus sympathisé lors des journées inaugurales de l’ALI-Lyon, en 2014 il me semble, alors que nous nous sommes retrouvés esseulés sur le trottoir le dimanche midi, ce qui nous avait permis de déjeuner ensemble.

Depuis avril 2023, Gérard envoyait des mails énigmatiques, qui me faisais craindre pour sa santé…

Je me souviendrais toujours de Gérard, dans les années 90, avec ses santiags et sa DS de collection. Nous l’appelions « Le cowboy » !

Paix à son âme, c’était vraiment une belle personne, et il nous laisse de quoi nous questionner avec les nombreux ouvrages qu’il a fait paraître.

Témoignages ci dessous :

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Jean-Marie Fossey (sous la direction de) / Violence et passage à l’acte : Ce que les psychanalystes en disent

Publication des actes du colloque FEP de Caen octobre 2022

L’actualité de la guerre, de la criminalité, des répressions d’État, des violences sexuelles, de l’insulte, de l’humiliation, du mépris s’affichent à la une des journaux. Ces violences, sont-elles plus importantes aujourd’hui qu’hier ? Sans doute pas.

Violences collectives, individuelles, notre actualité montre l’ampleur du phénomène. La violence traverse le temps, les cultures, les groupes sociaux et, partant, la vie psychique de chacun. Pourquoi ce besoin de détruire, jusqu’à la barbarie, dont la philosophe Simone Weil soulignait le caractère permanent et universel ? Philosophie, droit, sociologie apportent leurs réponses. Mais nul n’entend comprendre cet étrange besoin sans la lecture freudienne de la pulsion. Comment interpréter la brutalité de la violence {violences sexuelles, offense, haine) sans l’hypothèse de l’inconscient, du narcissisme, de la jouissance, des fantasmes, du désir ? S’appuyant sur Freud et le malaise dans la culture qu’il décrivait en1930, Michele Marzano écrit dans le Dictionnaire de la violence qu’elle a dirigé : « La violence, en effet, ne vient pas toujours de l’autre ; ce n’est pas l’autre du seul fait qu’il est autre, qui est violent. Chacun porte en soi sa propre violence ». Se passer des théories freudiennes, c’est ignorer que la violence est constitutive du psychisme humain. En 2021, Gérard Pommier rappelait que la psychanalyse, en mettant au premier plan du désir inconscient, l’inceste et le parricide, fait du sujet un être qui grandit avec le crime.

La clinique met en évidence que déchiffrer et dénouer par la parole ce qui appartient aux violences et aux passages à l’acte, c’est se saisir du « ça parle à qui sait entendre ». Il peut s’agir alors d’entendre l’acte, comme expression d’une souffrance psychique, comme une parole absentée, barrée, adressée à l’autre, ou encore à l’Autre social, voire entendre l’acte sans adresse, comme pour le sujet psychotique. Pour répondre à ces questions, des psychanalystes, des philosophes et des sociologues, tous professionnels sur le terrain, comme on dit, ont dialogué et échangé lors de ce colloque organisé par la Fondation Européenne pour la Psychanalyse qui s’est tenu à Caen du vendredi 15 au dimanche 17 octobre 2022. Les points de vue originaux et l’approche plurielle pourront surprendre le lecteur. Mais ce sont assurément ces regards croisés qui permettent de saisir au mieux la richesse et le tranchant théorique de cette pratique subversive qu’est la psychanalyse. Cette prodigieuse invention freudienne qui garde toute son actualité, tant que la psychanalyse se soutient du médium qu’est la parole du patient. Lacan n’a cessé de le rappeler.

jean-louis rinaldini / Et si on relisait « Psychanalyse des foules et analyse du Moi » ?

Source : Groupe Niçois de Psychanalyse Lacanienne

Disons-le d’emblée : il est de la violence sociale. Il est de l’exclusion. Et les idéologues de la pureté ethnique occupent à nouveau le haut du pavé… L’hostilité est de tous les temps.

Et    pourtant    « hostile » comme « hospitalité », le pouvoir d’être hôte, vient de hostem qui veut dire étrange : l’hôte accueille l’étranger parce qu’il est maître symboliquement, donc il se dispense d’affirmer sa maîtrise, de la faire sentir puisqu’elle est inscrite dans les lieux, dans le rapport aux lieux. Il n’a pas peur de la perdre, il n’a pas peur de l’étranger, il n’est pas xénophobe. Être hospitalier ce n’est donc pas faire les simagrées d’une réception. Ça se place sous le signe d’un certain amour de la rencontre. Alors que dans le trait raciste, ce dont il est question c’est de l’envie de la trique du père, ou du rêve d’une mère qui n’accueillerait que ses petits.

Mais de quelle prétention pouvons-nous nous prévaloir pour parler de clinique sociale ? La psychanalyse n’est-elle pas avant tout destinée à connaître et à secourir les destins particuliers des sujets en souffrance plutôt que de s’intéresser à ce qui pourrait être une psychopathologie de la vie sociale fut-elle quotidienne.

C’est une évidence : durant des décennies, et malgré les écrits de Freud le domaine du politique dans le microcosme analytique a relevé de l’indicible sinon de l’impensé.

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Témoignage de Moustapha Safouan – recueilli en octobre 2019 par G. Pommier et Gricelda Sarmiento

G. Pommier : Moustapha Safouan, vous êtes le témoin et un des acteurs de l’épopée de la psychanalyse en France. Elle n’a véritablement pris son essor qu’après la deuxième guerre mondiale, alors que les praticiens n’étaient qu’une poignée. C’est à partir de quelques personnes, de leur style et de leurs divergences que l’aventure a commencé. Nous vous rencontrons aujourd’hui, vous qui avez plus de cent ans, pour recueillir le témoignage de cette singularité de votre expérience. Vous avez connu Jacques Lacan avant les années 1950, pouvez-vous nous dire un mot de votre première rencontre avec lui ? Comment cela s’est-il passé ?
MS : J’ai fait mon analyse entre le mois de janvier 46 et la fin de l’année scolaire de 1949 en juin chez Schlumberger. Au cours de cette année-là, je venais de refaire un doctorat de philosophie à la Sorbonne. Pendant cette analyse, j’allais souvent aux réunions de La Société de Psychanalyse de Paris. C’est là que j’ai entendu parler Lacan. Il tenait un langage qui paraissait incompréhensible à la plupart des auditeurs, et qui était de toute évidence incompris de Nacht, par exemple : il lui demandait assez souvent « Mais que voulez-vous dire par là ? » Il attendait de Lacan une réponse, sans pouvoir bien formuler lui-même le sens de sa question. Alors, moi par contre, j’ai été tout de suite séduit par Lacan, parce qu’il utilisait un vocabulaire qui m’était plus parlant que le glossaire purement psychosomatien, ou médical, qui était la norme. Il parlait du sujet.
GP : Est-ce que Schlumberger, qui était votre analyste, était présent à ces réunions ?

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Gérard Pommier / Éros est rouge et noir. Surtout pas de rose, s’il vous plaît !

Texte paru dans la Newsletter de la FEP de Juillet Août 2022.
Illustration : représentation de Cronos dévorant ses enfants. Pietro della Vecchia.
Entre 1626 et 1678.

L’érotisme humain ne ressemble en rien à celui des animaux : le nôtre est bestial. Rebelle aux lois de la biologie, il se rit des gènes, des hormones, du cycle menstruel, il n’a cure de la fécondité, etc. Il n’obéit qu’à une loi et une seule, celle du noir désir, qui veut du sang bien rouge. Mais… ? Qu’est-ce que le désir ? Le désir n’a pas d’objet : la vision d’un pied, de beaux cheveux, de seins bien arrondis (sans oublier les fesses) ne suffit guère pour l’exciter : les formes attrayantes déclenchent les pulsions, et les voir de loin pourrait suffire, comme quand on visite un musée. C’est beau, mais ça ne va pas beaucoup plus loin…

Le désir ? C’est bien autre chose ! Il répète un traumatisme passé, mais à l’envers. Il rejoue un moment traumatique, mais en retournant le scénario pour se donner le beau rôle. Par exemple, un petit garçon qui aimait jouer avec des allumettes deviendra plus tard pompier ; ou encore une petite fille séduite va se métamorphoser plus tard en redoutable séductrice ; un petit enfant gémissant voudra devenir un bon papa plus tard ; voilà un dernier exemple, un enfant élevé sous sa mère deviendra psychanalyste quand il sera grand, pour la soigner, s’il en est encore temps. Le désir vole donc de répétition en répétition tout du long de la vie. Il change de scénario au fur et à mesure qu’il entre dans un nouvel âge. Il ne joue pas la même comédie lorsqu’il était enfant et quand il devient père de famille, etc. En somme, le désir cherche à se séparer d’un passé lorsqu’il n’est pas passé : il retourne en arrière pour ouvrir la porte du futur. Et lorsque le futur devient présent, sa mise en scène est nouvelle. La régression va donc commander la progression. Il faudrait presque retomber en enfance pour aller le plus loin possible dans la réalisation de son désir. Aïe Aïe Aïe !

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Radiofaunie

À PROPOS DE RADIOFAUNIE

Radiofaunie est un podcast qui s’adresse à quiconque est curieux de la psychanalyse et de ses échanges fructueux avec la culture comme la pop culture.  

Radiofaunie est un espace de conversation entre ceux qui font vivre la culture et ceux qui animent la psychanalyse.  

Radiofaunie, homophonie de la Radiophonie de Lacan, a pour intention de jouer de l’équivocité comme marqueur de l’inconscient et de la parole.  

Radiofaunie vise à faire entendre plusieurs voix en suivant le fil du désir d’auteurs, chercheurs,
artistes, libraires, éditeurs, témoins, prêts à interroger la question du sujet dans la culture. 

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Radiofaunie est un programme propulsé par l’Association Lacanienne Internationale. Il sera diffusé sur son site et les pages de ses réseaux sociaux. Sa visée : donner de la voix à la psychanalyse d’orientation freudienne et lacanienne, à ses travaux et à ses échos dans le champ culturel polyphonique. 

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