Jean-Pierre Lebrun : « Le Burnout : une désaturation réelle »

Intervention à la 13ème journée de l’addictologie de Douai, le 29/09/2016

J’ai pensé que je ferais avec vous, si vous le permettez, le travail que j’ai fait dans ma tête de psychiatre et de psychanalyste lorsque j’ai été confronté pour la première fois à cette appellation de « burnout »

J’ai dit que je ferais avec vous, « le travail ». Cela veut dire que je me situe dans le registre d’un « travail » ; je n’ai pas dit qu’il s’agissait d’un « emploi ». Simplement parce que – il y a un petit livre que je vous conseille de Bernard Stiegler qui s’appelle « La fin du travail » – il n’est pas impossible que nous soyons en train d’assister, mine de rien, à ce que ce ne soit plus le travail qui soit le problème, mais justement à ce que ce travail soit aujourd’hui réduit à n’être plus qu’un emploi. Ce qui n’est pas du tout la même chose. Entre les deux, en passant du travail à l’emploi, vous avez gommé le travail de subjectivation, l’assomption par le sujet de cette part de lui-même que représente et que conditionne toujours son « travail ». Pour le dire simplement, le travail ce n’est donc pas qu’avoir un travail ; c’est « être » au travail. Et tant mieux si en plus, cela me donne de l’emploi. En revanche, avoir un emploi n’implique pas d’emblée d’être au travail. Cette précision peut déjà être utile pour nous aider à repérer les enjeux du burnout.

Ma première réaction quand j’ai eu affaire à ce terme de « burnout » a été de devoir faire face, voire même tout de suite de contredire les collègues psychanalystes qui, de cette nouvelle appellation – parce qu’elle date de 1985, quelque chose comme ça – c’est le cas de le dire, n’avaient nullement « cure ».

En fait, cette appellation, selon d’aucuns, daterait de 1969 ; Harold. B Bradley aurait été la première personne à désigner, dans son article « Community-based treatment for young adult offenders », un stress particulier lié au travail sous le terme de burnout. Ce terme est ensuite repris en 1974 par le psychanalyste Herbert J. Freudenberger puis par la psychologue Christina Maslach en 1976 dans leurs études des manifestations d’usure professionnelle.

Mais pour la majorité des psychanalystes, il n’y avait que la cure et ce mot de « burnout » n’était en somme qu’un mot de plus de cette novlangue qui était en train de s’emparer de nous sous l’égide du management. Il n’y avait donc pas de raison de céder à cela ; le burnout n’aurait désigné rien d’autre que la fatigue, l’épuisement … Ce n’aurait été nullement une pathologie nouvelle mais simplement une nouvelle nomination d’un symptôme par ailleurs connu depuis longtemps. Et il est vrai que de plus en plus de gens s’en prévalent, de ce burnout, comme pour légitimer, voire justifier un moment de fatigue ou d’évitement.

Quand vous savez que la dépression est souvent taxée de lâcheté morale, on peut aussi dire que, d’une certaine façon, il n’est pas impossible que faire appel au burnout pourrait pour certains venir légitimer qu’ils en ont simplement assez de leur fonctionnement.

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Vient de paraitre : Alain Airaly, Jean-Pierre Lebrun « Réinventer l’autorité. Psychanalyse et sociologie ».

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La crise de l’autorité précarise la vie collective, le rapport à autrui et la formation de la subjectivité. Inlassablement niée et récusée, quasiment incompréhensible aujourd’hui, l’autorité doit être réinventée, ex nihilo, tant elle entre en contradiction avec l’actuelle société des individus. Dans leur dialogue, les auteurs s’y exercent.

En effet, à la différence de la domination et de la coercition, l’autorité est la parole du collectif, elle est le Tiers qui conditionne tout ensemble le langage et le rapport à autrui. Comment faire autorité dans la famille, à l’école, au travail ou en politique lorsque toute position d’exception se trouve par avance récusée, contestée, sinon méprisée ? Qu’est-ce qu’une société dans laquelle plus personne n’assume la position d’exception et les normes de la vie ensemble ? Quelles en sont les conséquences sur la construction psychique de l’autonomie et de la responsabilité ?

Dans un dialogue constructif, Jean-Pierre Lebrun et Alain Eraly, appartenant à des disciplines différentes, croisent leurs approches et s’essaient à concevoir de nouvelles formes d’autorité au service du commun, plus respectueuses de nos valeurs démocratiques.

Dans la collection

Humus

A propos des auteurs

photo de Jean-Pierre LEBRUN

Jean-Pierre Lebrun est psychiatre, psychanalyste, ancien président de l’Association lacanienne internationale et de l’Association freudienne de Belgique.

photo de Alain ERALY

Alain Eraly est professeur à l’université libre de Bruxelles où il a enseigné la sociologie, la communication et la gestion publique, membre de l’Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique.

Benoit Peeters : « Sandor Ferenczi, l’enfant terrible de la psychanalyse »

Note de lecture de Jean-Pierre Lebrun

La biographie de Sandor Ferenczi par Benoît Peeters est particulièrement bienvenue en ces temps difficiles car, c’est loin d’être seulement un travail bien documenté sur le psychanalyste hongrois, très longtemps proche et même intime de Freud, auteur de Thalassa et d’un célèbre Journal clinique posthume. C’est plutôt à un parcours des “chemins de désir” – les architectes appellent ainsi les sentiers qui se forment progressivement sous les pas des marcheurs, des animaux ou des cyclistes, à côté des infrastructures prévues pour eux ; la plupart du temps, on les voit à peine – de celui qui a été appelé “l’enfant terrible de la psychanalyse” que nous convie l’auteur grâce à son talent de conteur.

Enfant terrible, autrement dit, certes, toujours enfant – “Je n’ai donc jamais été adulte”, écrit-il dans les dernières pages de son Journal –  mais enfant terrible parce que rien de la pratique de la cure, de ses avatars, de ses impasses ou de  ses avancées, n’échappait à sa vigilance et à ses préoccupations. L’actualité de son travail à cet égard est évidente et c’est bien ce que l’ouvrage de Benoît Peeters nous fait arpenter, ce qu’il résume d’ailleurs très bien en mettant en exergue de son livre la formule de Lou Andréas Salomé : “Le temps de Ferenczi doit venir”. Disons-le d’emblée : celui que Freud appelait son “paladin” et “grand vizir secret” est manifestement aujourd’hui des nôtres et rien que cela méritait bien qu’on reprenne son parcours. 

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Jean-Pierre Lebrun : « L’immonde coronavirus »

Immonde

« Et s’il nous fallait avoir le courage de regarder les choses en face et de reconnaître que le monde sans limite auquel nous « collaborons » depuis près d’un demi-siècle ne pouvait qu’aboutir à produire cet « immonde sans limite » dont nous nous lamentons aujourd’hui. (…) Nous sommes confrontés actuellement aux conséquences d’un raz-de-marée en profondeur dont l’origine serait l’estompement dans le discours sociétal, voire même l’effacement, de la négativité inscrite dans la condition de l’être parlant. [1]»

Ces deux phrases qui commencent mon dernier livre « Un immonde sans limite » paru il y a deux mois, – près de vingt-cinq ans après avoir publié « Un monde sans limite » – se sont retrouvées tragiquement rejointes par l’actualité. Car le coronavirus peut être lu comme une figure de l’immonde, : comme le retour dans le réel de cette limite que notre monde postmoderne s’est évertué à faire disparaître dans le symbolique.

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