Sidonie Csillag, la jeune homosexuelle de Freud

« Sur la psychogenèse d’un cas d’homosexualité féminine » est daté de 1920, cet article de Freud relate le cas d’ « une jeune fille de dix-huit ans, belle et intelligente, issue d’une famille socialement haut placée » qui le consulte quelques mois en 1919.

D’emblée, Freud « avait plusieurs raisons de se sentir mal à l’aise ». C’est que, d’une part, la demande émane des parents : « Il n’est pas indifférent qu’un être humain vienne à l’analyse de son propre mouvement ou qu’il le fasse parce que d’autres l’y amènent » ; et, d’autre part part, cette jeune fille s’avère asymptomatique : elle « n’était pas malade – elle ne souffrait pas pour des raisons internes, elle ne se plaignait pas de son état ».

Autant dire que l’affaire s’annonce mal, mais Freud n’est guère en mesure de refuser un coup de pouce financier : « La vie à Vienne devient de plus en plus difficile ; on a du mal à se nourrir et plus encore à se chauffer ; et la spéculation et l’inflation rendent les pénuries d’autant plus intolérables (…) Freud se plaint à ses amis proches, surtout en hiver : ils n’ont pas, lui et sa famille, de quoi manger à leur faim, et il est là, dans son bureau glacial, à s’efforcer d’écrire, les doigts gourds »[1].

Il existe une autre raison, dont Freud ne parle pas, pour qu’il s’intéresse à l’homosexualité féminine. C’est qu’à cette époque, il est préoccupé par la question de l’homosexualité féminine de sa propre fille Anna, qui est en analyse avec lui depuis plus d’un an.

Le cas de la jeune homosexuelle

Cette jeune fille de bonne famille est éprise d’une femme de petite vertu, de dix ans son aînée, « une cocotte », bisexuelle notoire. Freud note ce que l’on nommerait aujourd’hui un clivage : autant elle pouvait s’afficher avec publiquement avec la dame bien aimée aux yeux de tout Vienne ; autant « toutes les roueries, tous les faux-fuyants, tous les mensonges lui étaient bons pour organiser à leur insu ses rencontres avec elle ».

Si cette situation irrite le père, « un homme grave et respectable », elle n’indispose guère la mère, « une femme encore dans la jeunesse et qui manifestement ne voulait pas renoncer à la prétention de plaire elle-même par sa beauté ».

La jeune fille semblait avoir eu un développement conforme aux préceptes freudiens de l’époque : « Dans ses années d’enfance, la jeune fille était passée par la position normale du complexe d’Œdipe féminin ». Ainsi, vers 13-14 ans, elle prit en affection un petit garçon de trois ans au point qu’elle voyait régulièrement dans un square : « elle était alors dominée par un puissant désir d’être mère elle-même et d’avoir un enfant ».

Elle est âgée de 16 ans lorsque sa mère met au monde un troisième frère : « Auparavant sa libido avait pris comme position la maternité, après cela elle fut une homosexuelle s’éprenant de femmes mûres, ce qu’elle est restée depuis ».

Ce qui devait arrivait arriva. Alors qu’elle se promenait avec la dame à proximité du bureau de son père, elle le croise et il leur lance un regard furieux : « Quelques instants plus tard elle se précipitait sur la voie du chemin de fer urbain ». C’est que la dame, ne voulant pas d’histoires, lui avait intimé l’ordre de mettre fin à leur relation.

C’est après cette tentative de suicide que les parents font appel à Freud.

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Théorie freudienne du transfert

Après la surprise du transfert d’Anna O. sur Breuer, s’être mépris du transfert de Dora et avoir été sous l’emprise du transfert de l’homme aux rats ; Freud consacre quelques articles théoriques sur cette question fondamentale.

La notion de transfert était pourtant déjà présente dans L’interprétation des rêves paru en 1900, sous la forme de pensées de transfert, soit le déplacement de désirs inconscients qui s’expriment dans le rêve à l’aide de restes diurnes déguisés. Freud parle alors de transferts au pluriel, pour rendre compte de ces représentations de désirs rendus méconnaissables par les opérations de condensation et de déplacement.

En 1909, Sandor Ferenczi (Transfert et introjection), à propos du transfert, note que le patient fait jouer à l’analyste le rôle des images parentales.

Freud tente une première synthèse de la notion de transfert en janvier 1912 dans l’article Sur la dynamique du transfert.

Tout d’abord, Freud rappelle que le transfert se produit inévitablement au cours d’une cure analytique, pour la bonne raison que celle-ci concerne des personnes névrosées, insatisfaites, dont le besoin d’amour ne peut que s’adresser vers toute personne bienveillante.

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L’homme aux rats, l’emprise du transfert

Ernst Lanzer

Il faut relire l’homme aux rats comme la Bible

Jacques Lacan ( 14/05/1958)

Les Remarques sur un cas de névrose obsessionnelle (L’homme aux rats), constituent la troisième des cinq psychanalyses que nous a transmit Freud. Il s’agit du récit d’une cure de 11 mois, effectuée du 1er octobre 1907 à la mi-septembre 1908. Durant les quatre premiers mois, Freud prend des notes tous les jours, sauf le dimanche, au rythme même de la cure.

Freud exposera le cas de l’homme aux rats à la Société de Psychanalyse de Vienne le 30 octobre, les 6 et 20 novembre 1907, le 22 janvier et 8 avril 1908, puis au premier congrès international de psychanalyse qui se tint à Salzbourg le 27 avril 1908. Il sera publié en octobre 1909 dans le premier numéro du Journal pour la Recherche Psychanalytique et Psychopathologique (Jahrbuch für psychoanalytische und psychopathologische Forschungen) ; et traduit en français en 1935. En quelque sorte, c’est le premier compte rendu d’une analyse menée selon la technique de l’association libre, soit, rien de moins qu’une ré-invention de la psychanalyse par Freud.

L’homme aux rats, c’est Ernst Lanzer, un jeune homme de 29 ans, docteur en Droit, aux prises avec de douloureux symptômes obsessionnels longuement décrits et interprétés par Freud.

Le récit de cette cure est tout entier imprégné par le transfert.

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Anna O., la surprise du transfert

Bertha Pappenheim

En allemand, übertragung de über, au-dessus et tragen, porter, supporter : soit, littéralement, porter-dessus. Dans la langue courante, employé pour transmission voire retransmission d’une émission de radio , mais aussi pour transcription, traduction, etc.

En français, transfert selon le Larousse, c’est l’action de transférer, de déplacer quelque chose ou quelqu’un : en Droit, le transfert de propriété par ex., en sport, le changement de club d’un joueur, etc.

L’expression « faire un transfert sur quelqu’un » est une expression assez courante depuis que certaines notions psychanalytiques se sont banalisées. De ce quelqu’un, il s’agit le plus souvent d’une personne en position de savoir : le médecin, l’enseignant, le politique, etc. ; mais aussi de en position de savoir faire ou de savoir y faire, comme le sportif, le chanteur. Le transfert, au sens commun, s’équivaut à l’élan affectif, une certaine admiration voire énamoration.

Mais le transfert, tel qu’il a été découvert et tel qu’il est conceptualiser en psychanalyse répond à une réalité, voire un réel bien plus complexe.

Cette année je vais m’attacher à répondre à ces quelques questions posées par ma petite note d’invitation :

Qu’est-ce que le transfert ?

En quoi y-a-t il une spécificité du transfert en psychanalyse ?

Quelle est la fonction du transfert dans la cure, et en quoi celle-ci est-elle primordiale ?

Qu’est-ce que « le maniement du transfert » par l’analyste, comme le théorise Freud puis Lacan, et en quoi ce « maniement » conditionne les autres éléments de la cure, jusqu’aux interprétations même ?

Dans un premier temps, nous aborderons cette découverte, et même cette invention du transfert par Freud.

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