L’efficacité symbolique

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La séance du 10 février 1954 du premier séminaire public de Lacan, sur laquelle nous nous arrêtons aujourd’hui, occupe une place particulière dans le cursus lacanien à plus d’un titre. Ainsi, il en existe 2 versions, celle de J. A. Miller parue au Seuil en 1975, et la version écrite de la main même de Jacques Lacan en 1956, publiée dans le premier numéro de la revue théorique de la toute nouvelle Société Française de Psychanalyse et reprise telle quelle dans les « Ecrits » en 1966. Cette seconde version, la première chronologiquement, est présentée comme une « transposition amplifiée » de la séance. Dans ce N° 1 de « La Psychanalyse », elle cohabite avec un texte du linguiste Benveniste, « Remarques sur la fonction du langage dans la découverte freudienne », et une traduction par Lacan même de la conférence de Heidegger sur Héraclite intitulée « Logos », entre autres articles.

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Le retour à Freud de Lacan

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Au temps de son amitié avec Wilhelm Fliess, Freud s’adonnait volontiers à la numérologie, qui passionnait le médecin berlinois.

Le thème du séminaire de cette année se prête volontiers à un petit exercice de numérologie. C’est à l’abord de la cinquantaine que Freud commence à rédiger des petits écrits techniques, 48 ans exactement en 1904 ; et cinquante ans plus tard lorsque Lacan les commente, il est âgé de 52 ans. Nous voici en 2006, un peu plus de 50 ans après Lacan, lorsque nous abordons, nous aussi ces textes à l’âge qu’ils avaient alors tous 2. Mais au-delà de « l’âge du capitaine », ce cycle cinquantenaire correspond également à des moments clefs de l’histoire de la psychanalyse.

En 1904, la théorie freudienne commence à connaître quelque succès, obligeant son auteur à en fixer quelques règles. En 1953, Lacan qui occupait la présidence de la Société Psychanalytique de Paris, s’en exclu à la suite de divergences quant à la pratique des cures didactiques. Aujourd’hui, depuis l’année 2004, le landernau psychanalytique français se déchire à propos de la réglementation étatique des psychothérapies… Numérologie, quand tu nous tiens…

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L’identification de signifiant

Identification

Le séminaire que Jacques Lacan tient en 1961-62 sur l’identification a ceci de particulier, qu’il ne comporte pas de théorie unifiée de l’identification. Il le dit, et le répète, il ne s’intéresse qu’à la seconde des 3 identifications freudiennes, que Freud qualifie d’identification régressive à l’einziger zug, par laquelle le moi emprunte à l’objet un seul trait, un trait partiel, généralement physique : un détail corporel, une intonation, un geste, une expression. Ce que Lacan traduit trait unaire, qui comme tel réduit l’objet à un seul trait, à une marque qui spécifie l’objet pour le sujet qui se l’approprie. Après l’avènement de l’identification imaginaire, moïque, paranoïaque du stade du miroir, Lacan cherche les voies de l’identification symbolique. L’entreprise ne s’avérera pas si simple, et même si je m’abstiendrais de reprendre comme il le fait en long et en large le graphe du désir, de la même façon que je ne m’engagerais guère sur la topologie du tore, alors florissante, ces 2 inventions lacaniennes pourraient, chacune d’elle, faire l’objet de plus d’une année de séminaire ; le travail de déchiffrement qu’effectue cette année là Lacan dépasse de loin son objectif. Nous avons déjà vu que l’identification à l’image du miroir se doublait d’une nomination, c’est toi, là, dans le miroir, ce qui indique d’emblée l’intrication des phénomènes identificatoires chez l’être parlant.

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L’identification au miroir

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L’homme ne s’adapte pas à la réalité, il l’adapte à lui. Le moi créé la nouvelle adaptation à la réalité et nous cherchons à maintenir la cohésion avec le double (Lacan 1937, sources : archives Dolto).

L’assomption jubilatoire de son image spéculaire par l’être encore plongé dans l’impuissance motrice et la dépendance du nourrissage qu’est le petit homme à ce stade infans, nous paraîtra dès lors manifester en une situation exemplaire la matrice symbolique où le Je se précipite en une forme primordiale, avant qu’il ne s’objective dans la dialectique de l’identification à l’autre et que le langage ne lui restitue dans l’universel sa fonction de sujet. (Lacan, 1949, Le stade du miroir …).

Aux premiers temps de la découverte freudienne, le roman individuel du névrosé rend compte d’une étiologie sexuelle de la symptomatologie, à l’encontre des théories organicistes, dégénératives pour ne pas dire génétiques qui prévalaient alors. Avec la première guerre mondiale, Freud tient compte de l’environnement sociétal du sujet, de « Totem et tabou » en 1912, jusqu’au « Malaise dans la civilisation » de 1929, le sujet de la psychanalyse se déplace de la sphère parentale au lien social. L’élaboration de l’identification le conduit au narcissisme (et inversement), celle de la compulsion de répétition à la pulsion mort. C’est ainsi qu’il ne conçoit rien moins qu’un nouvel inconscient, non plus constitué du seul refoulé, mais champ de bataille de différentes instances, plus ou moins inconscientes, dont l’équilibre règle la pacification, voire l’harmonie.

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Dé(S)entification

C’est donc à propos de la psychologie collective, c’est à dire des rapports à l’autre que pour la première fois le Moi en tant que fonction autonome est amené dans l’œuvre de Freud.

Lacan, 10 février 1954 (Les écrits techniques)

Dans l’article sur « Le Moi et le Ça »,… Freud écrit que le moi est fait de la succession de ses identifications avec les objets aimés qui lui ont permis de prendre sa forme. Le Moi, c’est un objet fait comme un oignon, on pourrait le peler, et on trouverait les identifications successives qui l’ont constitué.

Lacan, 5 mai 1954 (Les écrits techniques)

Freud nous a introduit à un narcissisme conçu comme tout premier mode de relation entre le Moi et l’Objet, en ce sens que tous deux se constituent et se différencient en un même mouvement, en miroir en quelque sorte, sous le régime pulsionnel de l’autoérotisme. C’est d’une identification primordiale que s’origine le Moi, en tant qu’il se différencie progressivement de l’Objet extérieur en se l’appropriant, sur le mode du cannibalisme.

L’identification narcissique se révèle donc être à l’origine même de la constitution du Moi, et de l’Objet, ce que reprendra Lacan dans sa thèse de médecine sur les fondements paranoïaques de la personnalité.

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De la guerre des chefs au père symbolique

omolou4La réalité de l’événement est une chose, mais il y a quelque chose d’autre : c’est l’historicité de l’événement, c’est à dire quelque chose de souple et de décisif qui fut une impression sur le sujet, qui domina, et qui est nécessaire à expliquer la suite de son comportement. (Jacques Lacan)

L’homme aux loups a été inventé par Freud en pleine guerre avec Jung, son héritier pressenti et Adler, jeune et ambitieux médecin viennois. Durant l’année 1952/1953, Jacques Lacan poursuit le séminaire qu’il avait initié l’année précédente auprès de quelques élèves, chez lui, rue de Lille à Paris. Après L’homme aux rats, il commente cette année là L’homme aux loups, alors que la Société Parisienne de Psychanalyse, seule représentante française de l’I.P.A., l’Association Psychanalytique Internationale crée par Freud, la SPP se trouve en pleine effervescence.

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Loup, y-es-tu ?

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Je suis prêt à affirmer que toute névrose d’adulte se construit sur une névrose d’enfant, qui n’est pas toujours assez intense pour être remarquée et reconnue comme telle.

 C’est cette petite remarque qui fait de cette 5ème et dernière psychanalyse écrite par Freud un tournant dans son enseignement, et qui déterminera par la suite la pratique des cures analytiques par ses élèves. L’ancienne distinction entre psychonévroses de défense et névroses actuelles n’a dès lors plus lieu d’être, et par cette petite phrase, Freud n’en refonde pas moins la clinique psychanalytique.

Nous sommes à un moment d’intense travail théorique, puisque cet Extrait de l’histoire d’une névrose infantile est écrit durant l’hiver 1914-1915, soit au même moment qu’un texte majeur comme Pour introduire le narcissisme, et peu avant quelques articles aussi fondamentaux que Pulsions et destin de pulsions, Le refoulement et L’inconscient quelques mois plus tard.

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Inhibition, Symptôme et Angoisse

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En 1926, avec « I.S.A. », Freud opère donc un retournement dans sa conception des symptômes névrotiques : c’est l’angoisse de castration qui est à l’origine du refoulement, et non l’inverse. L’angoisse de castration est le moteur du déploiement du complexe d’Oedipe, ou pour le dire autrement, du procès en subjectivation de l’être parlant. L’angoisse de castration est le prototype même de toute angoisse, c’est une angoisse originaire, constitutive, qui s’éprouve dès le traumatisme de la naissance, et en cela, elle est aussi angoisse de séparation.

C’est donc cette angoisse qu’illustre la phobie, qu’elle présentifie, ou qu’elle met en scène, elle en est le symptôme central. C’est pourquoi la phobie ne constitue pas une névrose en terme nosographique, en tant qu’entité clinique : c’est un accident de parcours, qui court-circuite le refoulement. Dans l’hystérie ou l’obsession, le refoulé induit par l’angoisse fait retour dans le corps ou dans la pensée. Alors qu’avec le mécanisme phobique, l’angoisse, non refoulée, va se fixer, se condenser, directement, sur un élément de l’environnement immédiat, familier, habituel, situation, objet ou être vivant que l’on appelle l’objet phobique. Avec la phobie, l’angoisse n’est pas sans objet, c’est d’ailleurs ce qui en fait son économie, sa facilité, pour ne pas dire son universalisme. Pas sans objet dans le sens aussi, que l’objet phobique vient lui souligner le pas sans, c’est-à-dire la place du manque : le mécanisme phobique consiste à tenter de masquer, de boucher ou de borner l’angoisse de castration fondamentale du sujet parlant.

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